Transcription
Giulia: On vit un peu parfois dans un monde parallèle dans le sens qu’on fait attention à d’autres choses. On voit d’autres choses, on vit différemment juste parce qu’on a pas le choix. On se rend compte à quel point ça peut vraiment être un univers qui n’a rien à voir. Et pourtant on vit tous dans le même monde.
Emilie: En suisse, quatre personnes en situation de handicap sur cinq se sentent fortement exclues de nombreux domaines de la vie. De l’isolement au regard des autres, du travail aux loisirs, de la charge mentale pour aller aux toilettes ou au restaurant, de la sexualité au logement et j’en passe, nos témoins partagent leur quotidien.
Bienvenue pour cet épisode de notre podcast, Écouter pour voir, une invitation à briser les barrières invisibles pour que le droit d’exister ressemble plus à une évidence qu’à un combat. Giulia Damiano nous fait l’honneur de partager avec nous son histoire avec une grande franchise. Elle aborde plusieurs thèmes qui lui sont chers, notamment sa vie de tous les jours, son amour pour le sport, le défi des toilettes et l’accident qui a bouleversé sa vie.
Giulia nous explique comment elle déconstruit les préjugés et nous livre des anecdotes précieuses pour les personnes qui partagent son vécu ainsi que leurs proches. Un grand merci également à la Fondation suisse pour paraplégiques dont le soutien a rendu la réalisation de cet épisode possible.
Giulia: Je m’appelle Giulia Damiano, j’ai 25 ans et je suis d’origine italienne, mais je suis née et j’ai toujours vécu à Lausanne.
Qu’est ce qui t’a amené à la gymnastique?
Depuis assez petite. Si je ne sais plus exactement à quel âge, mais je pense, j’avais six, sept, huit ans. J’ai commencé assez tôt. J’ai fait deux semaines de danse classique. Ce n’était pas mon truc. La gym, c’était beaucoup plus dans mon rayon et j’ai été appuyée parce que j’avais d’autres personnes de mon quartier qui s’entraînaient là-bas.
Et j’ai directement été m’entraîner là-bas. Et depuis, je suis toujours dans le même Club. La gymnastique propose énormément de discipline différentes. Ça va du volet à la gym, à la balle, à la corbeille. Il y a beaucoup beaucoup de choses, nous faisons principalement de la gymnastique aux agrès.
Et dans cette discipline, là, on a du sol, du mini trampoline, de la barre fixe et des anneaux balançant. En gros, ce sont les quatre disciplines. Puis, il y a autant des concours individuels que de concours en société. On appelle ça donc en groupe. Et ça, c’est en gros faire de la gym en groupe sur de la musique, comme une chorégraphie, mais où on fait de la gym.
J’ai chuté aux anneaux. C’était en novembre 2021, en faisant un enchaînement que j’avais fait des milliers de fois comme d’habitude. Et j’ai eu un gros à coup dans les cordes à la suite à d’une erreur de timing, en gros, et j’étais sur les tapis. Donc il y avait tout ce qu’il fallait, etc. Mais l’impact a été directement sur mon dos et avec la hauteur, la vitesse, la rotation, ça a touché ma colonne.
Et donc ma moëlle épinière et j’ai tout suite réalisé que je ne pouvais plus bouger mes jambes. C’était la fin du monde, il ne faut pas le cacher. Et au début, on se dit catastrophe. Qu’est-ce que je vais faire? Ma vie n’a plus de sens. Et après bas, ça a été très dur. Je crois que j’ai eu 10 h d’opération dans la nuit. Donc c’était la nuit du mardi au mercredi et le vendredi, une deuxième opération.
Et puis ensuite, j’ai été assez rapidement transportée à Nottwil au centre suisse des paraplégiques ou j’ai fait du coup une réhabilitation de cinq mois, puis j’ai tout réappris.
Emilie: Qu’as-tu dû réapprendre ?
Giulia: Enfin, il y a plein de choses à apprendre. Au début, j’avais tellement de douleur dans le dos que je ne pouvais pas me mettre assise. Donc on reprend petit à petit. Au début, c’était cinq minutes assise. Après 10 minutes assise, j’avais beaucoup de vertiges au début de que c’était aussi quelque chose de difficile à tenir.
Et puis petit à petit, on arrive tenir un heures ou deux, etc. Donc j’ai passé beaucoup de temps couchée. C’était déjà bien difficile dans ce sens-là. Et ensuite on réapprend à aller aux toilettes , à se déplacer logiquement, à tout faire. Donc, prendre du temps, j’ai eu de la chance. J’étais très bien entouré parce que, d’une part, j’ai mes parents qui étaient très présents.
J’avais mon copain aussi, qui était très présent. Ma société de gym, toute mon équipe de gym pendant, j’ai eu beaucoup, beaucoup de gens qui sont venus voir. Donc ça, c’était très, très important d’avoir du monde autour à mes côtés.
Donc c’était compliqué les premiers jours, les premiers weekends, mais mes parents ont pu rester à l’hôtel. Il y a un hôtel juste à côté du centre. Et puis il y a la Fondation suisse pour paraplégique qui prend en charge ce genre de nuitée pour permettre aux proches, justement, de rester dans les parages les premiers temps.
Donc ça, Nottwil, c’est avant tout, vraiment, un centre de réhabilitation. Donc, il y a vraiment autant des gens qui ont eu des accidents que des gens qui ont eu des maladies. C’est vraiment tout ce qui est en lien avec les lésions médullaires. Donc les lésions de la moelle épinière, forcément du coup on mange avec ces personnes-là, on travaille avec ces personnes-là.
On a des conseillers sociaux, conseillères sociales et aussi des médecins. Il y a tout ce qu’il faut au même endroit. Donc pendant la réhabilitation, c’est vraiment de 9 heures à 17 heures. C’est comme un travail, c’est une thérapie. Et puis c’est un truc après l’autre toute la journée. Donc c’est chargé de voir d’autres gens qui ont déjà quitté leur chaise depuis plusieurs années.
Tout ça fait un peu un déclic. J’ai clairement été dans un gros déni. J’ai pensé « de toute manière, je vais remarcher. Je pense que tout le monde passe par là, mais effectivement de discuter avec des gens qui sont déjà dans cette situation depuis plusieurs années, cela permet de relativiser un peu, de voir qu’est ce qui est possible ou pas possible.
Je pense que je l’ai plus réalisé après ma réhabilitation. C’est vraiment plutôt après coup qu’on se rend compte que voilà, quand on revient un peu dans notre environnement, qu’on, voit les personnes qu’on avait l’habitude de voir, que là on se retrouve plutôt en-bas. . On découvre d’autres façons de faire les choses.
Emilie: Comment as-tu vécu l’expérience de rencontrer d’autres patients? Tu nous parlais d’humour noir. Est-ce que ça a aidé dans ton processus de réhabilitation ?
Giulia: C’était vraiment s’envoyer un peu des vannes assez violentes, mais ça faisait du bien. Enfin, ça fait partie de la réhabilitation. Je trouve et beaucoup de gens vont le dire.
Je pense aussi que pour les gens qui ont vécu ça, il faut vraiment pouvoir en rire. Et puis que ça sorte, il y avait un autre patient justement qui a une lésion très sévère, mais au niveau plutôt des cervicales. Il a pu réapprendre à marcher. Il a récupéré quelques capacités, mais pas son bras.
Son bras était complément mort mais il pouvait marcher. Et moi, je pouvais utiliser mes bras. Donc on se vannait pas mal là-dessus « mais t’arrive même pas soulever ta canette ou ouvrir ta canette ». Et puis moi, il me disait vas-y lève-toi et marche. C’était, c’est un exemple un peu bateau, mais c’était beaucoup de vannes comme ça. Et il n’y avait pas de stéréotype ou d’a priori ou de préjugés,
Emilie: est-ce que le sport a continué à garder une grande place dans ta vie.
Giulia: À Nottwil, ils ont très vite vu que voilà, j’ai toujours été sportive aussi. Donc j’étais très vite, très à fond dans la réhabilitation. Et du coup, ils m’ont vraiment fait tester tous les sports possibles et inimaginables à Nottwil.
C’était évident que j’allais de toute façon continuer à faire du sport après la question, c’était qu’il me fallait du matériel. Donc il me faut une chaise de sport. Il me faut un endroit où je peux aller.
Comment allais-je faire ? Je ne peux pas. Je ne peux plus prendre mon ballon de volet à aller jouer au bord du lac. C’est une toute une autre question de nouveau. Il faut réfléchir, tout repenser.
Qu’est-ce que cela implique au niveau des finances, tout ce qui est matériel de sport, c’est extrêmement cher. On doit trouver qui peut nous aider dans le financement. Comment est-ce que je peux obtenir cet argent pour pouvoir aller m’entraîner? C’était assez évident que j’allais faire cette démarche pour retourner faire du sport, pour mes habitudes, de bouger tout le temps.
Emilie: Depuis le départ de chez toi pour des entraînements réguliers, quelle est la logistique que tu dois gérer pour t’y rendre ?
Giulia: Par exemple, les vendredis, je m’entraîne à Bulle au centre de tennis avec le Club en fauteuil roulant de la gruyère. Je m’entraîne à neuf heures. Donc généralement, je me lève à sept heures.
Je passe plus ou moins un heure sur les toilettes pour faire mes besoins différemment. Et ensuite je pars vers huit heures huit heures 15 pour arriver au centre vers neuf heures. Avant ça, il faut que je charge ma chaise de tennis dans le coffre de ma voiture. Donc, généralement, je le fais le soir d’avant. Je mets ma chaise sans les roues dans le coffre.
Et ensuite le matin, je prends tout ça avec et il faut aussi que pour être dans ma voiture, je dois transférer ma chaise à côté de moi. Donc je démonte ma chaise. J’enlève les roues, les passe par-dessus moi. Je passe aussi mon fauteuil que je peux plier en deux par-dessus. Moi, je mets tout sur le siège passager et ensuite je conduis une voiture qui est adaptée.
Donc je peux quand même conduire. Donc je roule jusqu’à bulle. Quand j’arrive là-bas, je vais de nouveau remonter ma chaise de tous les jours. C’est pour ça que, généralement on fait rarement des entraînements d’une heure. On préfère faire au moins deux heures d’entraînement. Et puis après, il faut toujours avoir des toilettes dans le coin forcément au cas où.
Et dans tous les cas, je n’ai pas, je ressens plus le besoin d’aller aux toilettes. Donc, en gros, je suis un peu réglée. Je vais toutes les trois ou quatre heures aux toilettes.
Emilie: Qu’est-ce que cela a impliqué pour toi qu’on te retire ton permis et quelles sont les démarches que tu as dû entreprendre pour adapter ta conduite à des nouvelles conditions de vie ?
Giulia: Avant l’accident, j’avais aussi mon permis. En gros du jour au lendemain, j’ai reçu un courrier du service des automobiles qui me disait qu’il fallait absolument que je renvoie mon permis au plus vite.
Sinon, il me le retirerait. Ça m’a fait rire parce que dans tous les cas, je pouvais plus conduire une voiture. Donc j’ai trouvé que le courrier était déjà rédigé sur un ton pas très agréable. Et ensuite j’ai dit, pas de souci, parce que toute manière en l’occurrence, il ne me sert à rien. Et voilà, j’ai eu un retrait de permis.
Ce n’est pas un retrait de permis dans le sens que j’ai fait un énorme excès de vitesse ou j’ai fait un accident de voiture. Je n’en sais rien. C’est un retrait de permis parce que je ne suis plus en capacité de conduire.
La réflexion sur ce qui s’est passé n’est pas prise en compte. Quelle est la situation? Tu n’as plus le droit de conduire et il faut que tu respectes ça. Ok, j’entends de toute manière, je ne peux pas en l’occurrence parce que je n’ai pas de voiture adaptée ni rien, mais la manière de faire est dure. Et c’est vraiment juste très général pour tout le monde.
Et il n’y a pas de prise en compte de la situation ou de la personne ou voilà, en l’occurrence, c’est un accident. Donc c’est quand même quelque chose de traumatique. Et on est déjà dans une situation pas facile. Et par-dessus, on reçoit encore ce genre de courrier et je n’en ai pas reçu qu’un, on en reçoit beaucoup à droite à gauche.
Autant on nous dit qu’on est impotent, qu’on est indigent, qu’on est malade, j’en ai plein et ce n’est pas ça aide pas. Ce n’est pas quelque chose qui est, disons, agréable.
Emilie: Aujourd’hui, tu as retrouvé une forme d’autonomie et avec une nouvelle manière de conduire est-ce que tu peux nous raconter ?
Giulia: J’ai fait les démarches pour avoir une voiture et pour l’adapter aussi parce qu’en soit c’est une voiture lambda normale. Donc suivant le type de handicap ou autre, on a des adaptations plus ou moins grandes ou à ne pas à faire.
J’ai dû refaire des heures d’auto-école avec un moniteur spécialisé. J’ai dû repasser mon permis pour qu’on me dise c’est bon, tu sais, conduire avec le nouveau système. C’est presque indispensable. Dans ma vie tous les jours, juste pour moi être autonome et indépendante de faire un peu ce que je veux d’aller à droite à gauche quand je veux.
Alors oui, je dois transporter mon fauteuil. Alors maintenant, je le fais en deux secondes. Au début, ça me prenait, je pourrais le dire, 10 minutes en tout cas, c’est quelque chose que je comptabilise quand même dans mes déplacements, etc. Et après, c’est juste la liberté de pouvoir faire un peu ce que je veux quand je veux.
Quand on est dépendant, par exemple de transport handicap que à chaque fois on doit réserver un transport, on doit s’assurer qu’il y a une camionnette qui est disponible à telle heure à tel endroit. C’est une chose d’y aller, mais après, il faut rentrer et les transports publics autant dire que c’est un enfer.
Mais de manière générale, c’est très, très, très dur de se déplacer de manière spontanée en transport public, parce qu’alors il y a effectivement certains endroits où on peut facilement monter de manière autonome, dans les trains, par exemple. Mais on peut monter dans le train, puis après quand on doit descendre, c’est plus possible des fois.
Donc c’est super pénible de devoir à chaque fois vérifier que telle gare ou telle gare, c’est bon ou pas ou c’est pas bon. Puis après bah, pour les trains qui ne sont pas adapter, il faut réserver, il faut faire une demande de personnel qui vient nous aider. Des fois, ils ne sont pas là, des fois, ils ne sont pas au bon endroit des fois, ils ne sont pas sur le bon quai.
Ou par exemple, une fois, j’étais avec toute mon équipe de gym, j’avais réservé le train exprès pour pouvoir aller avec eux, etc. Au lieu d’aller moi toute seule en voiture sur place. Et en fait, ils m’ont dit oui, alors pas de souci. Mais en fait, c’est en première classe la place pour les personnes en fauteuil.
Et vous ne pouvez pas y aller avec vos amis parce qu’ils ont des billets de deuxième classe. Et au final, mes potes de gym, ça les a tellement saoulé qu’ils m’ont dit bon, viens, on s’en fout, on te porte dans le wagon en deuxième avec nous. Et puis on te portera pour sortir. Puis c’est ce qu’on a fait. C’était beaucoup plus sympa c’était possible parce que c’est des gens qui ont la capacité de me porter, de m’aider.
Bien sûr, dans les bus, il y a une rampe qui peut être ouverte pour qu’on puisse monter depuis le trottoir. Sauf que si le bus est plein, autant vous dire que la rampe, elle est jolie. Mais on pense aussi cette façon de s’organiser en fonction qui s’automatise de plus en plus qui fait perdre de moins en moins de temps au fur à mesure des mois, des années, puis aussi la faculté à éviter de se mettre dans ce genre de situation qui nous font perdre du temps parce qu’au final, on les évite.
Si on a la possibilité, on fait en sorte de les éviter. Et du coup moi, je me déplace en voiture et autrement, j’ai aussi, j’ai une propulsion électrique. En gros, c’est une roue électrique que je peux accrocher à ma chaise et qui me tire, comme un petit moteur. En tout cas en Ville de Lausanne, je me déplace uniquement avec ça et c’est super pratique.
Mais après de nouveau, pour une question d’espace de place, c’est difficile d’aller dans le métro avec ou dans les bus, etc. Des fois, je fais l’ensemble de mon trajet avec ce truc.
Le plus grand défi pour toi c’était quoi après l’accident ?
Un des plus gros défis, en tout cas, quand on est, c’est quand même les toilettes. On ne peut plus faire ses besoins de la même manière. Donc on apprend à faire ça différemment parce que je n’ai plus la capacité à évacuer, à donner le signal à mon corps.
On le fait de manière tellement automatique et ça nous paraît censé dans la vie de tous les jours que quand on se retrouve dans la situation, il faut le faire soi-même. C’est très perturbant. Il faut s’habituer au début, c’est les infirmières qui le font. Il y a des personnes qui attendent des soins à domicile parce qu’elles n’ont pas la possibilité ou la capacité de le faire elles-mêmes.
Même moi, j’ai eu la possibilité d’être autonome et indépendante aussi à ce niveau-là, mais c’est clair que ça prend aussi plus de temps et c’est une chose de faire ça. C’est une autre chose aussi de le faire dans les toilettes adaptées ou non. Généralement, ce n’est pas une question qu’il y ait des barres. Parce la moitié du temps, je m’appuie directement sur la cuvette parce qu’il n’y a pas tout le temps des barres. Mais souvent en fait, je ne rentre même pas dans les toilettes parce qu’il n’y a juste pas assez de place. Et si je ne peux pas rentrer avec mon fauteuil, je peux être difficilement aller aux toilettes.
On trouve aussi d’autres techniques. Et au début, pour moi, c’était inenvisageable de me transférer sur des toilettes quand j’étais face aux toilettes. Puis maintenant, j’arrive faire à faire un 180° entre guillemets en me transférant. Ce sont des choses que j’ai apprises au fur et à mesure. On développe des facultés d’adaptation. On se dit ça, je peux faire comme ça ou finalement ça, je peux faire d’une autre manière, etc. Et pour moi, souvent, le gros challenge, je pense de la vie tous les jours qui non seulement prend du temps, mais qui, en plus est très lourd à faire comprendre aux autres.
Donc ce n’est pas juste que j’ai besoin de toilettes adaptées. C’est parce que ce que je dois faire aux toilettes est plutôt complexe. Donc je pense ça, c’est quand même quelque chose qui est lourd à apporter, surtout au début et après plus on le fait, plus on s’habitue, plus ça devient automatique, ça devient évident.
Emilie: Qu’est-ce que tu aimerais que les gens qui nous écoutent retiennent de ton histoire?
Giulia: Que la paralysie, ce n’est pas juste que je ne peux plus bouger mes jambes, mais que ça un impact aussi sur les organes internes. Mais moi, je pense que ça me parlait pas du tout avant et je l’ignorais.
Donc je ne peux pas attendre non plus des gens que ce soit évident, que tout le monde soit au courant. On ne peut pas tout savoir de tout et n’importe quoi, mais je pense que c’est quand même quelque chose qui pourrait être disons plus courant ou une discussion qui peut être très ouverte.
Quand on revient dans sa vie, tous les jours, dans son environnement normal, on se rend compte qu’il y a beaucoup de regards.
Ce n’est pas forcément des regards « oh la la, elle est handicapée », c’est plus, je pense, de la curiosité de la part des gens. Mais qui peut être perçue comme mal placée suivant le type de regard. Et au début, c’était très, très lourd. Et en fait, comme me l’avait déjà expliqué plein de gens, c’est au fur et à mesure de, voilà, tu fais ta vie, et au final, tu plus n’y pense plus, ça disparaît.
Je pense que ce qu’il faudrait effectivement changé, au lieu de juste avoir un regard sur les personnes qui nous intriguent parce qu’elles ont un handicap de plutôt aller ouvertement même discuter avec ces personnes ou donner un coup de main. Je pense qu’on se gêne trop de le faire.
Et c’est dommage. Après ça reste un c’est quand même quelque chose de très personnel et de très psychologique. Je me rends compte que ça me touche encore, bien évidemment, mais que ça devient aussi une habitude et que je me rend compte plus trop compte si les gens me regardent ou pas.
Mais il y a aussi des gens que cela va empêcher d’aller à droite à gauche. Ça va les gêner. Ça va les embêter des fois, ça reste. Donc ce n’est pas toujours facile à vivre. Et je pense que personne n’aime qu’on le regarde fixement. Ou parfois, je suis dans une situation un peu galère ou je me mets toute seule dans une situation de galère.
Je me dis que je vais passer par là et ce n’est pas du tout une bonne idée. Et au final, tu t’y retrouves et t’as juste des gens qui te passent à côté, puis tu as juste envie de leur dire, mais venez me donner un coup de main ou ils réagissent pas ou des fois on leur fait signe. Ils se disent mais qu’est-ce qu’elle me veut ou, toujours des fois, il y a des personnes qui réagissent très vite.
Je pense qu’il y a encore beaucoup de travail à faire là-dessus, mais ça reste quelque chose de très personnel. Et je ne pense pas qu’on peut changer tout le regard de la société aussi facilement. Avec les enfants c’est très drôle. Ils se plantent devant toi et disent : pourquoi tu ne te lève pas? Et en même temps, moi, ça me fait rire. Et c’est vrai que souvent c’est plutôt les parents qui sont mal à l’aise. Les enfants, généralement, tu leur dis c’est cassé, que tu as eu un accident, et c’est OK pour eux.
Puis ils partent et ils sont tout contents d’avoir eu une réponse. Faut pas grand chose.
Emilie: Peux-tu nous parler de ce nouvelle univers que tu as découvert et qu’est-ce que tu aimerais qu’on en sache dans la société?
Giulia:
Émilie : Peux-tu nous parler de ce nouvel univers que tu as découvert ? Et qu’aimerais-tu que la société en sache ?
Giulia : Je travaille à 50 % pour la Fête fédérale de gymnastique. Ces cinq dernières années, j’ai fait partie du comité d’organisation de cette fête, qui a lieu tous les six ans.
En gros, je jongle entre ça, la physiothérapie, le sport et mes activités pour mon Club de gymnastique. C’est un peu ça ma vie quotidienne. Après, comme tout le monde, il y a des jours où ça va moins bien, ou des périodes où tout semble un peu chaotique. Certaines semaines, tout roule, et c’est super motivant, mais parfois, il y a des moments où l’on touche le fond, et ça peut être déstabilisant.
Même dans le sport, ça arrive. On enchaîne deux ou trois bons entraînements, puis d’un coup, c’est la catastrophe. Le sport reste pour moi une manière de me défouler, de sortir de ma tête et de me recentrer. Cela a toujours fait partie de ma routine de vie. Sans cela, je pense que ce serait encore plus compliqué de gérer certaines choses.
On vit parfois comme dans un monde parallèle. Dans le sens où on voit les choses différemment, on fait attention à des détails auxquels d’autres ne prêtent pas forcément attention. C’est un univers qui semble totalement à part, et pourtant, nous vivons tous dans le même monde. C’est assez frappant de se rendre compte à quel point on peut ignorer certaines réalités, surtout celles des personnes qui vivent avec des handicaps ou des limitations importantes.
Souvent, on ne réalise pas ce qu’elles traversent parce qu’on les croise peu ou pas du tout dans notre quotidien. Certaines personnes sont alitées en permanence ou ne peuvent pas sortir de chez elles. Ce sont des situations qu’on voit peu, simplement parce que ces personnes n’ont pas la possibilité de participer à la vie sociale aussi librement.
J’ai la chance de pouvoir encore travailler, faire du sport et avoir des activités. Mais il y a des gens qui ne peuvent plus, ou ne veulent plus, parce que c’est devenu trop compliqué. Cela nous donne parfois l’impression que ces univers sont sur deux planètes différentes. Mais ce n’est pas parce qu’on ne voit pas quelque chose qu’il n’existe pas.
Certaines personnes préfèrent détourner le regard, pour ne pas affronter la souffrance ou la difficulté. Elles perçoivent cela uniquement comme un problème, alors qu’il s’agit d’une réalité qu’il faut comprendre et mieux intégrer dans notre société.
Nous avons la chance, à Nottwil, d’avoir des ressources à disposition, comme des conseillers de vie. Ce sont des personnes qui vivent elles-mêmes avec un handicap, comme une paralysie médullaire, et qui partagent leur expérience. Elles expliquent comment elles ont réussi à voyager, à faire face à certaines situations, et cela peut être très inspirant.
Je pense que la clé, c’est d’aller directement parler avec les personnes concernées. Écouter leurs anecdotes, leurs conseils, et tenter de trouver des solutions aux défis du quotidien. Par exemple, si un endroit semble inaccessible, on peut y aller avec des amis ou avec une personne prête à nous accompagner. Il y a presque toujours une solution ou une alternative, même si ce n’est pas évident au départ.
Émilie : Merci d’avoir partagé ton expérience avec nous, Giulia. Et merci à vous, chers auditeurs, d’avoir suivi cet épisode d’Écouter pour voir. Nous remercions chaleureusement Sébastien Kessler, de la société IDG, pour ses précieux conseils et son soutien depuis le début de ce projet.
Si vous vivez une situation similaire à celle de Giulia, ou si vous êtes proche d’une personne concernée, sachez que le Centre suisse pour paraplégiques de Nottwil et la Fondation suisse pour paraplégiques sont là pour vous aider et vous renseigner.
N’hésitez pas à partager vos commentaires ou vos ressources en nous écrivant à : contact@association-nuances.ch